
Foto: Adèle Romance Romany, Portrait de Mademoiselle Raucourt en costume d’Agrippine, huile sur toile, 1812 // Copyright: A. Dequier, coll. Comédie-Française
Philippe Hoch
Aus OPUS Ausgabe/Nr.: 72 in der Rubrik Formen & Farben
Inauguré aux lendemains de la Première Guerre mondiale, en octobre 1919, l’Opéra de Nancy s’apprête à célébrer son centenaire. Mais ce monument, fleuron de la vie culturelle lorraine qui compte aujourd’hui parmi les grandes maisons d’art lyrique françaises, s’inscrit dans une histoire bien plus longue. Une belle exposition, mise en œuvre par l’équipe scientifique des musées de la ville et dotée d’une superbe scénographie, invite en effet à découvrir plus de trois siècles de spectacles et de création théâtrale ou musicale au cœur de la cité ducale.
Les souverains lorrains sont du reste à l’origine de cette aventure artistique, organisant volontiers des représentations conformes à leurs goûts et à ceux de la cour. Mais l’architecture et les espaces du palais, où se déroulent dans un premier temps ballets, bals et autres récitals, se révèlent cependant peu adaptés. Aussi, le duc Léopold, grand amateur de festivités tout comme son épouse Élisabeth-Charlotte – une nièce de Louis XIV – fait-il construire à partir de 1708 la première salle de Nancy. Celle-ci est l’œuvre de l’architecte italien Francesco Galli da Bibiena, dont la carrière s’est également déroulée dans la Vienne impériale de Joseph Ier. Mais cet Opéra demeure cependant à l’usage alors presque exclusif du souverain et de sa cour, sans que le public y soit admis, deux autres salles répondant aux besoins de la population.
Dernier duc de la Lorraine souveraine, Stanislas Leszczynski est à l’origine de la place qui porte son nom, mais qu’il avait dédiée, sous l’appellation de « place Royale », à son illustre et puissant beau-père, le roi Louis XV. Sur le côté ouest, où se dresse de nos jours le musée des Beaux-Arts, fut édifiée une nouvelle Comédie, inaugurée en 1755. L’établissement attira les spectateurs en grand nombre, fidélisés dès cette époque par des offres d’abonnements et par la venue d’artistes de renom comme le tragédien Lekain ou Mlle Dumesnil, de la Comédie-Française. Le succès permanent des spectacles rendit nécessaire l’agrandissement de la salle, portant dès lors à 1 100 le nombre de sièges. C’est dire le rôle de premier plan que joua d’emblée l’institution dans la vie nancéienne sur le plan du divertissement et de la sociabilité, et ce durant tout le XIXe siècle.
Les documents et peintures exposés permettent de suivre l’évolution de la Comédie au long des décennies et au fil de ses transformations successives. Ils mettent aussi en évidence la qualité de la programmation, servie par des acteurs à la hauteur du répertoire proposé, qu’ils appartiennent à la troupe permanente ou qu’ils soient invités. L’augmentation considérable de la population, après 1871, due à l’afflux massif de Mosellans ayant choisi de quitter l’Alsace-Lorraine désormais annexée à l’Empire allemand, rendit nécessaire une reconfiguration de l’Opéra ou l’édification d’un nouveau bâtiment. Les années s’écoulèrent sans qu’aucune décision ne fût prise, mais les événements se chargèrent de trancher puisque les flammes ravagèrent entièrement l’immeuble en 1906.
L’acte III de l’histoire de l’opéra à Nancy débute ainsi avec la construction d’un nouveau théâtre, pour laquelle un concours est organisé, remporté par l’architecte Joseph Hornecker. Le projet de ce dernier se voit cependant contesté de toutes parts et le lauréat est finalement contraint de l’amender. Bien avancés en 1914, les travaux sont suspendus en raison du conflit mondial, de sorte que le bâtiment ne peut être achevé et inauguré qu’en 1919. Les ultimes étapes du parcours mènent le visiteur des lendemains de la Grande Guerre à l’actuel Opéra national de Lorraine. Dessins, peintures, sculptures, photographies, mais aussi des maquettes et costumes mis en valeur avec soin, font en quelque sorte passer de la scène aux coulisses, distinguées par un parti-pris de couleurs. Ainsi, l’exposition, enrichie de pièces prêtées par le musée du Louvre et la Comédie-Française, ne manquera pas d’intéresser autant les amateurs d’histoire que les mélomanes.
Galerie Poirel – 3, rue Victor Poirel, Nancy, jusqu’au 24 février, du mardi au dimanche, de 14 h à 18 h – www.poirel.nancy.fr